Les grands noms d’une invention longtemps attendue, mais aussi redoutée

La couture à la main est une technique et un art pratiqué depuis des millénaires sur tous les continents. Bien que de plus en plus populaire – ou peut-être justement parce que la couture se développait – une avancée technologique se fit de plus en plus attendre dès le début du XVIIIème siècle. L’industrie du textile connaît une réelle révolution un siècle plus tard avec l’invention de diverses machines permettant de produire plus, et plus rapidement. Que ce soit pour le cuir, la laine, la broderie ou autres, l’invention de la machine à coudre marque un réel moment décisif dans l’Histoire de l’Homme.

En 1790, le Britannique Thomas Saint invente un modèle de métier à coudre, le premier connu à ce jour, marchant avec une manivelle. Cette invention est la première à avoir pleinement fonctionné, comme le démontre la reproduction de William Newton Wilson réalisée avec succès en 1874. Elle ne fut cependant jamais commercialisée ni même connue jusqu’à ce que Wilson ne découvre les plans et croquis, puis qu’il réussisse à la réaliser grâce à la précision des dessins/esquisses.

C’est en 1830 que la première machine à coudre industrielle est inventée à Lyon par Barthélemy Thimonnier, qui dépose alors le premier brevet de la « mécanique à coudre ». Ce modèle n’est pas encore commercialisé pour un usage domestique, mais plutôt prévu pour l’industrie du textile. En effet, Thimonnier est couturier et à longtemps rêvé de créer une machine qui lui permettrait de coudre mécaniquement, afin de travailler plus vite et d’augmenter le champ des possibles.
Et s’il pense marquer une réelle révolution dans le monde de la fabrication de tissus et de la couture avec son invention, qui reproduit les broderies au crochet des ouvrières de la région, il se retrouve en réalité face à un mur d’opposition. Le premier brevet, publié le 17 juillet 1830 avec l’aide de l’ingénieur Auguste Ferrand, est suivi par d’autres versions améliorées en 1841, 1845 et 1847.
Cependant, même si ces premiers modèles de métier à coudre permettent de coudre 6 fois plus rapidement qu’à la main avec un rythme de 200 points/minute, les couturiers et couturières se révoltent et détruisent même l’atelier de fabrication de Thimmonier. Ils craignent alors de perdre leur emploi en cas d’utilisation généralisée de ces machines. Et ce schéma d’incompréhension se poursuit, Thimmonier devant même vendre ces premiers modèles afin de subvenir aux besoins de sa famille. Il restera méconnu de son vivant, malgré une entreprise qui a participé activement à l’effort de guerre en fabricant des uniformes militaires. Décédé en 1857, Thimmonier est enterré dans une fosse commune sans aucune reconnaissance, tandis que ce modèle de machine à coudre à point de chaînette à un fil deviendra célèbre et sera utilisée jusqu’au milieu de XXème siècle.

Walter Hunt crée de l’autre côté de l’Atlantique, à New York, une autre version de la machine à coudre : la première avec le système de points de navette à deux fils (ou canette) toujours utilisé aujourd’hui. Considéré comme un grand inventeur car ayant aussi créé, dans des domaines très variés, la fameuse épingle à nourrice, un fuseau à tisser le lin, un déneigeur, une balayeuse, un fusil à répétition, un aiguiseur à couteau, il inventera en 1833 son modèle de machine à coudre, pour lequel il ne demandera pas de brevet avant le 10 septembre 1846, de peur de chambouler les métiers de couture et causer du chômage dans le milieu.

Pendant ce temps-là, Elias Howe invente en 1845 ce qui est aujourd’hui considéré comme le premier modèle de machine à point de navette conçue pour un usage de ménage, qu’il promeut aux États-Unis puis en Angleterre. Ce modèle avait deux aiguilles réalisant un « point noué ».

John Fisher invente en 1844 en Angleterre un modèle proche de celui de Howe, mais qui utilise un support horizontal pour le tissu, tandis que celui de Howe est vertical. Il ne réussit cependant pas à déposer un brevet.

Des années plus tard, en 1851 à Boston, Isaac Merrit Singer commercialise pour la première fois une machine à coudre à usage domestique. Cependant, il fut porté/convoqué au tribunal et condamné en 1854 pour avoir copié l’invention de Hunt, auquel il dut reverser une partie de ses bénéfices (très éloignés de la somme qu’il toucha lui-même grâce au succès des machines Singer). Howe joint également Hunt dans sa plainte contre Singer et d’autres nouveaux fabricants de machine à coudre, mais même avec ce procès, il ne touchera pas de redevance car Singer avait déjà apporté des modifications à sa machine, ajoutant un pied-de-biche.

De nombreux autres noms auraient pu être évoqués, entre invention imparfaites et oubliées ; avancées et nouveautés. Ceux que vous avez découverts sont ceux que nous avons jugés les plus intéressants et les plus importants.
Citons en plus deux autres noms : l’Allemand Charles Weisenthal et son aiguille faite pour la couture sur machine en 1755, et son premier système mécanique à coudre (inefficace) et l’Autrichien Joseph Madersperger et sa création simulant un mouvement de main (infructueux).

Petites anecdotes à connaître sur les machines à coudre et leurs inventeurs :

• La machine à coudre « d’aujourd’hui » reproduit le système de points de navette à deux fils de Walter Hunt, à un rythme actuel incroyable de 5000 points/minute.
• Les modèles Thimmonier furent très célèbres dans le milieu, tout comme les Singer encore aujourd’hui.
• La Légion d’honneur fut décernée au « fabricant de machine à coudre Benjamin Peugeot » lors de l’Exposition Universelle de Paris en 1878.
• Hunt et Howe sont aujourd’hui enterrés dans le même cimetière de Green-Wood à Brooklyn .